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    2 months ago

    « Un geste politique » : pourquoi Firefox continue d’être utilisé, malgré l’hégémonie de Chrome

    Par Corentin Benoit-Gonin

    2024-11-09 dans Le Monde

    Décryptage : Auparavant considéré comme un produit phare, le navigateur de Mozilla a vu son nombre d’utilisateurs s’effondrer. Le logiciel, qui fête ses 20 ans aujourd’hui, conserve toutefois une base solide d’adeptes, qui voient en lui un moyen de s’opposer à la toute-puissance des GAFAM.

    Du haut de sa vingtaine, le poil de Firefox n’est plus très luisant. Alors qu’en 2009, au plus haut de sa popularité, le logiciel était adopté par près d’un tiers des internautes, sa base d’usagers a aujourd’hui complètement fondu. Avec une part de marché, en 2023, tous appareils confondus, de 2,65 % (contre 66,7 % pour Google Chrome), il n’est plus que le quatrième navigateur dans le cœur des internautes.

    Ce désamour, ainsi que deux vagues de licenciements en février et en novembre dans différents secteurs de la fondation Mozilla, dont celui qui gère le développement de Firefox, Mozilla Corporation, font même se profiler l’éventualité d’une extinction. Une situation qui tranche avec la détermination de ses utilisateurs, nombreux à avoir témoigné auprès du Monde , qui savent exactement pourquoi ils continuent de s’en servir.

    Il faut dire qu’à ses débuts Firefox est très réputé. Le navigateur émerge le 9 novembre 2004 des cendres de Netscape, dont il emprunte une partie de la base de code. Considéré comme rapide et sûr, il démocratise nombre de fonctionnalités et pose les jalons des navigateurs modernes.

    Tous les chemins mènent à Chrome

    « C’était un logiciel libre, rapide, avec des onglets, quand c’était une innovation, et une palanquée d’extensions », se souvient Maël, 43 ans, chef de projet numérique. Le bloqueur natif de pop-ups – ces fenêtres qui apparaissent d’elles-mêmes et dont abusent certains sites à des fins publicitaires – est également un argument massue du logiciel par rapport à son concurrent principal, Internet Explorer, alors en position de quasi-monopole mais moqué pour sa lenteur et son manque de sécurité.

    Mais Firefox, à son tour, commence à être jugé dépassé, ringardisé notamment par un nouvel acteur, apparu en 2008 et dont l’ascension semble irrésistible. « J’ai découvert Google Chrome quand j’étais adolescente. C’était un navigateur bien plus rapide que les autres et je me suis laissé tenter » , raconte Marie, 24 ans. En réaction, Mozilla opère en 2017 une profonde rénovation technique, qui remet son navigateur sur un pied d’égalité avec ses concurrents en matière de performances. L’effort est néanmoins insuffisant pour endiguer l’effritement de sa base d’utilisateurs.

    Sur les mobiles, qui représentent aujourd’hui près des deux tiers du trafic Internet mondial, le navigateur ne parvient pas non plus à s’implanter. Défavorisé par l’omniprésence de Chrome sur Android et de Safari sur iOS, il ne dépasse jamais le pour cent d’utilisation. « Depuis mars, la législation européenne force un certain nombre de téléphones à vous demander quel navigateur vous souhaitez installer au moment de l’achat, nuance néanmoins Sylvestre Ledru, directeur de l’ingénierie chez Mozilla. Depuis, sur iOS, nous observons une augmentation de 25 % du nombre d’utilisateurs et de 51 % du nombre d’utilisateurs actifs quotidien. »

    « Acte de résistance »

    Alors, adopter Firefox est presque devenu un geste militant face à Google Chrome. Nombreux sont ceux qui soulignent un souci de faire obstruction à son principal concurrent. « Google montre de plus en plus son vrai visage, celui d’une entreprise capitaliste qui vend nos informations » , déplore ainsi Marjo, 30 ans, qui travaille dans le bâtiment.

    L’image de « David contre Goliath », citée plusieurs fois, est souvent accompagnée de louanges quant à la structure choisie par Mozilla, celle de la fondation à but non lucratif. « Je trouve qu’il est très important de soutenir, rien qu’en participant en tant qu’utilisateur, l’existence de logiciels libres, gouvernés par la bonne volonté de développeurs passionnés, plutôt que des intérêts commerciaux privés », explique Benoît, étudiant de 23 ans. « Je suis ravie d’être membre d’une communauté, plutôt qu’une contributrice au profit d’un géant de l’Internet », ajoute Alexandra, 79 ans, spécialiste de l’éducation à la retraite.

    Ce besoin de lutter contre les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) résonne d’ailleurs mieux en Europe qu’outre-Atlantique. Si seuls 3,5 % des Américains utilisent Firefox, en France, ils sont presque le double. En Allemagne, c’est même un sur dix.

    De nombreux utilisateurs, souvent des professionnels du numérique, déplorent, par ailleurs, le fait que, si les alternatives à Chrome existent (Opera, Edge ou Brave par exemple), celles-ci sont construites sur les fondations de Chromium, un projet ouvert mais opéré par Google. Ce qui les rend, de fait, dépendantes des choix techniques réalisés sans concertation par la firme de Mountain View (Californie). Et si le navigateur d’Apple, Safari, peut prétendre à la même indépendance technique, il demeure cantonné aux appareils du constructeur.

    Une politique récente de Google, baptisée « Manifest V3 », inquiète en particulier. Elle change les règles qui régissent les extensions compatibles avec Chromium, ce qui remet en question le fonctionnement fondamental des bloqueurs de publicités contre lesquels la société est en croisade, en particulier sur YouTube. « En restant sur Firefox, je fais en quelque sorte acte de résistance, et je garde un bloqueur de pub fonctionnel » , estime en conséquence Cyrielle, étudiante et enseignante de physique de 22 ans.

    Des critiques multiples

    Mais l’intransigeance dont les utilisateurs de Firefox font preuve envers Google n’épargne pas non plus Mozilla, dont la gouvernance est souvent remise en cause. « Ils rémunèrent exagérément leur direction », juge Vincent, électronicien de 44 ans. Mitchell Baker, l’ancienne directrice générale de Mozilla Corporation, avec sa rémunération annuelle de 6,9 millions de dollars (6,4 millions d’euros) en 2022, cristallisait cette critique. « Les talents qu’on veut attirer chez Mozilla peuvent très facilement aller chez la concurrence , répond Sylvestre Ledru. Il reste nécessaire de leur proposer des salaires intéressants pour les faire venir et les faire rester. »

    S’ajoute à cela une dépendance financière paradoxale de Firefox à son principal concurrent, et perçue comme dangereuse par ses utilisateurs : fin 2022, Mozilla déclarait que 86 % de ses recettes provenaient… de Google. La société lui verse près d’un demi-milliard de dollars chaque année pour être le moteur de recherche par défaut de Firefox.

    Or cette source de revenus précaire pourrait être remise en cause par la justice américaine. Cet été, cette dernière a sommé en première instance Google de ne plus payer ses partenaires pour être ainsi mis en avant. Mozilla a cela bien en tête et tente depuis des années de diversifier ses revenus, notamment grâce à la publicité. Le navigateur a, par exemple, ouvert la possibilité pour les annonceurs d’en intégrer directement dans sa barre de recherche, ce qui n’est pas du goût de tous les internautes.

    Plus récemment, le choix de se concentrer sur l’intelligence artificielle (IA) a également éveillé la méfiance. En mars 2023, Mozilla annonce investir 30 millions de dollars dans la création de Mozilla.ai, une start-up dont la mission est de créer un écosystème autour de cette technologie, comme Orbit. Cette extension pour Firefox, qui entend résumer en quelques lignes des pages Web, a été lancée en catimini en septembre. « On a tous conscience des problèmes liés à cette technologie, mais il y a aussi une vraie valeur ajoutée, avance Sylvestre Ledru. La traduction intégralement en local qu’on propose avec Firefox, c’est un bon exemple d’IA propre, bien documentée, avec un vrai respect de la vie privée. »

    Les mécontents sont-ils pour autant réellement prêts à abandonner le navigateur au renard (ou au panda roux, on vous laisse trancher) ? Pas forcément. « Internet ne peut pas tourner autour du business de Google, utiliser Firefox ou un autre navigateur est un geste politique » , martèle Adrian, développeur de 33 ans. Si certains sont donc parfois tentés d’aller voir ailleurs, on sait au moins chez qui ils ne se retrouveront pas.